Trouver la force de vivre, de se lever chaque jour pour affronter son deuil, Regulus avait du mal à concevoir qu’il y parvenait. Peut-être était-ce le souvenir de Lily et James qui l’empêchait de sombrer : ils n’auraient jamais voulu qu’il abandonne. Ils lui auraient demandé de vivre, coûte que coûte, à leur place. Alors il vivait, comme pour leur rendre hommage. Il s’extirpait des draps après des nuits d’insomnie ou de cauchemars, il enfilait une tenue présentable et il quittait sa chambre en quête d’un travail qui voudrait bien de lui, pour n’y revenir que le soir, prendre un maigre repas et se laisser tomber sur le lit sans espoir que le repos lui soit plus agréable cette fois encore.

Pour l’instant, il restait dans ce cycle infernal, au Hope Shelter. Il n’avait pas d’autre perspective, pas d’autre horizon. Regarder vers le lendemain était encore trop difficile. Un pas après l’autre, sinon il risquait de s’effondrer. Dans ce qui lui servait de logis, pas une trace de son occupant : ses affaires peu nombreuses toujours rangées dans un placard ou un tiroir, son lit fait au carré, les rideaux tirés, rien, pas un indice de sa présence. Comme s’il avait évité à tout prix de laisser une trace, d’imprimer son existence sur la réalité. Un fantôme. Voilà ce qu’il était. Peut-être ainsi serait-il plus proche de ceux qu’il avait perdus.

Ce jour-là, il n’avait pas eu la force de tenir jusqu’au soir, et rentrait plus tôt que prévu. A vrai dire, il avait un drôle de pressentiment, comme un fil qui partait de son cœur et le tirait en avant. Quel sortilège guidait ses pas, tandis qu’il avançait vers sa chambre dont la porte était ouverte ? Qui était entré avant lui ?

Il entra en silence, il n’avait pas l’énergie d'interpeller l’apprenti cambrioleur qui n’avait pas attendu son retour pour investir les lieux.

Il ne lui fallut qu’un regard pour reconnaître la chevelure rousse de la jeune femme et sa silhouette, bien qu’elle soit frêle, trop frêle. Il se figea, la gorge nouée, les poumons encombrés de sanglots invisibles.

« Lily… » murmura-t-il, incapable de faire un geste.

Est-ce que son cerveau épuisé lui jouait des tours ? Sa beauté, son odeur, sa présence, est-ce que tout cela n’était qu’une illusion créée par le désespoir dans lequel il était en train de sombrer ?

Le temps semblait s’être figé, et Lily avec lui, dans une expression de surprise, de soulagement et d’amour qui resterait à jamais gravée dans la mémoire de Regulus comme un moment unique et salvateur. Son incroyable regard vert était ancré au sien alors qu’il pensait ne jamais le revoir. Il ne trouva pas les mots, il ne trouva pas les gestes. Il se contenta de la contempler sans pouvoir rien faire, paralysé par leurs retrouvailles, bonheur et culpabilité mêlés.

Elle se jeta dans ses bras et il les referma sur elle comme pour la capturer, la garder à jamais contre lui pour la protéger, parce qu’il n’avait pas su le faire par le passé. Il enfouit son visage dans sa chevelure, respira son odeur familière, embrassa son front, tint ses épaules, tentant de se convaincre que tout cela n’était pas un rêve, qu’elle était bien là, physiquement avec lui.

« Tu es là… » murmura-t-il.

Et je ne t’ai même pas cherchée, parce que je te croyais morte, parce que je pensais que je ne mériterais plus jamais un amour comme le tien et celui de James, parce que j’étais convaincu que tout cela était mon châtiment, ma façon d’expier mes fautes. Et pourtant tu es là.

Qu’en était-il de James ? Qu’en était-il d’Harry, de leur fils ? Etait-il possible de reconstruire tout ce qu’ils avaient eu, ici, à Everton ? Un espoir fou naissait dans son ventre. Espoir rapidement douché par les questions de Lily. Oui, il savait ce qui était arrivé à Harry, et en même temps… Non. Il n’avait pas été assez fort, assez courageux pour porter le futur de leur enfant seul. Il avait préféré s’enfuir, le laisser à d’autres qui seraient à la hauteur du fils exceptionnel que James et Lily avaient laissé derrière eux. Regulus ne méritait pas un tel honneur.

« Harry a survécu, il… tu… Tu l’as sauvé, Lily. Ton sacrifice l’a sauvé… »

Sa voix se troubla de larmes et il les laissa rouler sur ses joues. Il prit tendrement le visage de sa femme en coupe et posa un nouveau baiser sur son front.

« J’ai cru… J’ai cru que… Je suis tellement, tellement désolé de ne pas avoir été là… »

Les mots que souhaitait prononcer Regulus restèrent coincés au fond de sa gorge. Lily pouvait-elle entendre ce qu’il pensait réellement, qu’il aurait préféré mourir avec eux que de vivre sans eux ? Il savait que c’était égoïste, qu’Harry aurait mérité un père à la hauteur qui ne se serait pas défilé, mais il doutait d’avoir la force. Il n’avait pas eu la suite de l’histoire, alors il ne pouvait faire que des suppositions.

Le jeune homme se contenta de se taire tandis que sa femme lui offrait tous ces gestes de tendresse et d’affection, submergé par le mélange d’émotions qu’ils lui procuraient, soulagement, culpabilité, amour, douleur, mêlés en un tourbillon qui lui donnait la sensation de se noyer.

« Je t’aime… » articula-t-il en réponse avec difficulté, la gorge nouée.

Il serra Lily le plus fort qu’il put contre lui lorsqu’elle se pendit à son cou et se pencha pour qu’elle n’ait pas à rester trop longtemps sur la pointe des pieds. Il ferma les yeux en même temps qu’elle et soupira comme pour libérer sa cage thoracique de l’étreinte étouffante.

Au sein de son mariage, il avait miraculeusement trouvé ce qu’il avait toujours cherché : un amour inconditionnel, qui ne dépendait pas de sa manière de répondre à leurs attentes comme cela avait été le cas dans la famille Black ; il avait ainsi découvert que son frère aussi lui offrait un tel lien. Et son épouse lui prouvait que cet amour n’avait pas changé, malgré les épreuves. Malgré ses erreurs.

« Je te promets… Non, je fais le serment de ne plus jamais te laisser… De ne plus jamais laisser aucun d’entre vous. » murmura-t-il à son tour.

Il ne pouvait pas revenir dans le passé, il ne pouvait pas effacer ce qui s’était passé. Il porterait le poids de ses nombreuses fautes toute sa vie. Mais il pouvait apprendre. Il pouvait faire mieux, s’il s’en donnait les moyens. S’il arrêtait de fuir. Si, pour une fois, il faisait preuve d’un peu de bravoure. S’il y avait bien une chose qu’il admirait chez chacun des Gryffondors qui l’entouraient… c’était ce courage-là.

Cela commençait par en dire plus à Lily à propos de leur fils. Regulus s’écarta un peu sans la lâcher pour s’éclaircir la gorge.

« Harry… commença-t-il avec difficulté, a été confié à Sirius, mais je n’en sais pas plus. Je ne suis ici que depuis quelques jours, deux semaines peut-être. En fait… j’ai quitté notre monde la nuit qui a suivi… après… »

Malgré les larmes, malgré la culpabilité, quelque chose s’éclairait devant Regulus à la lumière de la présence de Lily : un chemin, une voie vers la reconstruction. Un avenir. Comme à l’époque, comme lorsqu’il les avait rencontrés, James et elle. Il y avait un après. L’espoir lui gonflait la poitrine, séchait ses pleurs.

« Tu es sûre de faire confiance à Sirius ? On risque de retrouver Harry à Gryffondor, tu imagines ?! » commença-t-il avec un faible sourire.

Plaisanter, retrouver cet aspect moqueur mais affectueux de sa personnalité, montrer à sa femme qu’il était toujours là, toujours lui malgré les épreuves.

« J’espère que la version de moi qui est restée là-bas lui apprendra à être un vrai petit Serpentard. » continua-t-il sur le même ton.

La main de Lily dans ses cheveux l’apaisait, l’ancrait dans cette réalité qu’il avait jusque là presque refusée. Aujourd’hui, il acceptait. Et c’était le début de son pardon.

Il se tut lorsqu’elle parla de ses propres regrets, celui de ne pas avoir pu rester auprès de son fils. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir, elle avait tout sacrifié… C’était si injuste, si terrible. Elle payait le prix, à sa place, c’était ce qu’il ressentait. Alors qu’elle aurait mérité, bien plus que lui, Regulus, de rester auprès de leur fils. Le sort était vil, et cruel. S’il avait pu échanger leurs places, il l’aurait fait… Lily aurait perdu ses maris, mais elle aurait eu Harry, et elle, elle en aurait été digne. Elle aurait été à la hauteur.

Cette perspective lui mettait les larmes aux yeux… Il devait se reprendre. Donner le change.

« Oh non, quelle torture, passer tout mon temps avec madame Lily Black Potter ! fit-il en levant les yeux au ciel dans une parodie d’exaspération. Qu’ai-je fait pour mériter ça ! »

Il se pencha vers elle, posa ses mains sur ses hanches et déposa un baiser sur ses lèvres.

« Je vais avoir besoin d’une compensation pour la peine endurée… » murmura-t-il avec un sourire équivoque.