@Steve Rogers

A force de vivre de larcins et de vols, Eugene pouvait se vanter de connaître un sacré paquet de combines et de filouteries. Ce n’était pas vraiment ce qu’il avait mis sur son CV mais ça avait tout de même réussi à le faire engager comme croupier au casino du Palace Hotel. Outre son habileté avec les cartes qui défendait sans mal les intérêts de l’hôtel, d’un seul regard, le grand Flynn Rider identifiait les mauvaises intentions et les confondait avec une maîtrise et une classe incontestable. Ce qui le rendait indispensable au bon fonctionnement de l’établissement, bien sûr !

Mais pour accomplir sa mission, il fallait travailler en binôme, et il avait trouvé en Steve Rogers, agent de sécurité, un partenaire idéal. Eugene était le cerveau, Steve était les muscles. Pas que le croupier ne se défende pas sur ce terrain-là, évidemment, mais il ne pouvait pas travailler sur tous les fronts. Et puis, ce gars avait quasiment la même tête que lui, ça avait d’ailleurs causé quelques minutes d’incompréhension lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Comment ne pas faire confiance à un visage aussi… Fiable ?

En cet instant, l’ancien bandit soupçonnait fortement la femme brune vêtue d’un tailleur gris perle de très bonne facture - luxueux même - en face de lui de compter les cartes du jeu de blackjack auxquels ils s’adonnaient, sa table et lui. Ce qui était bien sûr strictement interdit par le règlement… Et il y avait bien longtemps qu’il ne faisait plus preuve d’indulgence pour une jolie femme. Il jeta un regard vers son acolyte qui observait toute la salle, debout dans un coin, et lui fit un discret signe de tête. Enfin… peut-être pas si discret que ça, car la femme se redressa soudain. C’était sans compter sur le croupier qui redistribua les cartes pour une nouvelle partie avant qu’elle ait fait mine de se lever.

Et Steve avançait lentement mais sûrement dans son dos… Elle ne pourrait pas s’enfuir avant qu’ils aient relevé son identité. Eugene étira un petit sourire crâneur.

Peut-être n’avait-il pas remarqué que le joueur au physique beaucoup plus banal à sa gauche venait d’échanger une de ses cartes contre une version tirée de sa manche…

@Steve Rogers

Lorsque Steve s’avança vers l’homme à sa gauche, Eugene fronça les sourcils. Soit il était véritablement mauvais en signes discrets, ce qui, compte-tenu de son passé de bandit, aurait été un comble, soit ce Rogers n’avait vraiment pour lui que ses muscles, et pas deux sous de jugeote. Parce que ce n’était pas la cible qu’il lui avait désignée !

Pourtant, Flynn dut bien reconnaître que sur ce coup-là, il s’était fait avoir : un simple coup d'œil sous la table lui démontra que son partenaire avait été plus observateur que lui. Qu’est-ce qu’il se passait ? D’habitude, il repérait très bien ce genre de tour de passe-passe. Là, il n’avait rien vu. Était-ce le manque de sommeil ? Non, ça ne pouvait pas être parce qu’il s’était couché à 4h du matin et levé à 7h pour travailler son audition pour la prochaine pièce… si ?

Le croupier n’avait pas le temps de réfléchir, l’agent de sécurité était déjà en train de mettre en place une stratégie pour coincer la prétendue tricheuse. Prétendue, car soudain, Eugene était assailli d’un horrible doute : gagnait-elle vraiment tant que ça ? Les gains devant elle n’étaient pas si énormes… Il avait bien vu des mimiques et micro-gestes qui impliquaient qu’elle comptait les cartes, non ? Il ne pouvait pas être aussi fatigué que ça, si ?

Il décida de ne surtout pas remettre en question son intuition. De quoi aurait-il eu l’air, sinon ?!

« Madame, s’écria-t-il avec enthousiasme en désignant la femme au tailleur, vous êtes notre chanceuse ! M. Rogers et moi-même allons vous accompagner à l’une de nos tables VIP, et un collègue va venir prendre la suite ici. Ah, la table VIP, ça, ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps ! Quelle bonne surprise ! »

Son sourire enjoué était peut-être un peu faux lorsqu’il se leva, mais il fit bonne figure face à la joueuse. Sauver les apparences, toujours les apparences…

@Steve Rogers

Quelque part, le regard instigateur de Steve le faisait douter encore un peu plus de ses convictions, et Eugene détestait ça, aussi essaya-t-il de l’éviter consciencieusement tout le long du trajet jusqu’à la salle de sécurité. Après tout, il ne s’était jamais trompé, pourquoi cela commencerait-il aujourd’hui ? La cliente qu’il soupçonnait ne semblait pas très à l’aise, mais elle n’avait pas l’air de quelqu’un pris la main dans le sac, plutôt d’une ingénue qui ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive, entre la joie et la méfiance. A ce stade, la mécanique parfaitement huilée était lancée, difficile de l’arrêter..

Le bureau de la sécurité était vide, et le croupier sentit que la méfiance se renforçait chez la joueuse. Après tout, pourquoi l’emmener au même endroit que l’autre tricheur ? Le piège était sans doute piètrement visible… mais elle fit preuve de bonne volonté et obéit sans protester aux indications de l’agent.

Eugene leva un sourcil, surpris, lorsque Rogers commença à parler de sa capacité à casser des genoux. Qu’est-ce qu’il racontait ?! Lorsque le tricheur tourna son regard vers lui, l’ancien voleur changea cependant d’expression et délivra le sourire extra-bright dont il avait le secret et qui ressemblait étrangement à celui que venait de lui adresser Steve, en plus vantard, sans doute

« Hum, euh, oui, tout à fait, déclara-t-il d’une voix qui semblait avoir baissé d’un octave, je suis un expert en arts martiaux reconnu là d'où je viens, je serais vous, je tremblerais déjà des rotules. » fit-il en désignant les parties de l’anatomie de son prisonnier susnommées.

Nouveau regard vers Steve, un peu confus du jeu qu’ils étaient en train de jouer, c’était la première fois et il n’était pas rodé à jouer les gros bras au casino. En rajouter une couche ne ferait sans doute pas de mal…

« Bref, monsieur, je vous conseille de vous asseoir avant que je vous y aide… définitivement. »

Pas sûr que la direction approuve ce genre de méthodes… Mais c’était le résultat qui comptait après tout, n’est-ce pas ?

Il regarda la cliente et l’agent de sécurité disparaître dans la petite pièce adjacente, dissimulant sa nervosité sans parvenir à calmer tout à fait le tapotement de son pied. Pourvu qu’il ait raison, qu’elle avoue tout, qu’elle ne fasse pas de scandale, et surtout, que Steve ait la présence d’esprit de ne pas y aller trop fort au cas où il se soit trompé.

Il n’y avait plus qu'à attendre qu’ils ressortent de là, désormais, tout en gardant un œil sur le tricheur qui ne semblait avoir aucune intention de s’enfuir.

@Steve Rogers

“Il n’y avait qu’à attendre”. “Le tricheur n’avait aucune intention de s’enfuir”. Voilà ce qu’Eugene avait pensé quand Steve était rentré dans le bureau pour interroger la première suspecte.

Il se serait giflé pour son manque de jugeote et de vigilance.

Il avait été tellement convaincu que tout se passerait bien qu’il s’était tranquillement installé sur sa chaise, détendu, le bras posé sur le dossier, un sourire confiant sur le visage. En somme, il avait baissé sa garde. Imbécile qu’il était.

Du coup l’autre en avait profité. Il fallait croire qu’il n’était pas serein sur la peine encourue. Est-ce que c’était les menaces combinées du vigile et du croupier qui l’avait effrayé ? En tout cas, il avait tenté le tout pour le tout.

Il s’était levé et s’était mis à courir vers la porte de sortie. Surpris, Eugene avait mis quelques secondes à réagir, puis avait bondi de sa chaise en hurlant :

« Halte-là !!! »

Bizarrement (oui, bizarrement…), ça n’avait pas arrêté le fuyard qui se rapprochait dangereusement de la porte. Le croupier s’était donc lancé à sa poursuite dans un élan précipité et maladroit - pris au dépourvu, il n’avait pas le loisir de faire un de ses démarrages élégants et contrôlés dont il avait le secret. Il était un spécialiste des courses poursuites, que diable ! Il ne pouvait pas se laisser avoir comme un bleu, même si d’habitude c’était plutôt lui qui tentait d’échapper à ses poursuivants que le contraire. Au fond, ça n’avait pas beaucoup d’importance : ce qui comptait, c’était de courir vite. Plus vite que l’autre.

La pièce n’était pas grande, heureusement, et craignant que sa cible ne parvienne à actionner la poignée à temps, Eugene se jeta en avant et balança les bras vers les jambes du tricheur. Il arriva à s’en saisir, tenant fermement sa prise, et l’autre bascula, déséquilibré. Ce que le croupier n’avait pas prévu, c’était que le battant de la porte se trouverait sur la trajectoire de son crâne. Le “bonk” sonore qui retentit l’informa sur la rencontre délicate entre les deux objets, et Eugene grimaça.

Aïe. La boulette.

La résistance du fuyard s’amollit entre ses bras. Le jeune homme se permit de le lâcher, ne craignant pas à une ruse, et se redressa. Le pauvre homme était étendu à terre, à moitié affaissé contre la porte, complètement assommé. Eugene consulta son pouls ; il battait toujours. Pas de saignement, peut-être un léger trauma crânien, mais vraiment rien de grave, il était certain qu’il s’en remettrait. Après tout, la porte n’était pas si solide, n’est-ce pas ?

Mais sa direction le tuerait si elle apprenait ce qui s’était passé. Avec un peu de chances, le tricheur aurait une perte de mémoire suite à son heureuse étreinte avec le panneau de bois, mais si Steve caftait… Eugene hésitait. Est-ce qu’il pouvait faire confiance au vigile pour le couvrir ? Il l’aimait bien, mais il avait tendance à être un peu… rigide. On aurait même carrément pu dire parfois qu’il avait un balai dans le c… bref.

Dans le doute, il saisit l’assommé sous les aisselles et le tira jusqu’à sa chaise, puis le hissa dessus et le cala contre son dossier. Voilà, comme ça, on pouvait croire qu’il n’avait jamais bougé. Ensuite, Eugene se rassit sur sa propre chaise et croisa les jambes, puis fit mine s’intéresser longuement à la propreté des ongles de sa main droite.

« Mh ? » demanda-t-il en relevant nonchalamment le regard vers le vigile lorsqu’il sortit du bureau d’interrogatoire et l’interrogea sur l’homme sous sa surveillance.

Il attendit que Steve raccompagne l’autre joueuse, un air de pure innocence et effarement sur le visage.

« Mais je t’assuuuure, Steve, fit-il sur son ton le plus convaincant - il en était presque à battre des paupières, que je n’ai pas touché à ce cher monsieur. C’est sans doute la peur qui le fait réagir ainsi, n’est-ce pas, monsieur, vous êtes terrorisé ? »

Il passa la main devant le regard du tricheur qui était plus que vaseux.

« Youhou, monsieur ? Il nous fait un petit malaise, rien de grave. On devrait appeler les secours, peut-être au cas où, mais je suis sûr que ce n’est rien. »