En rangeant ses affaires, Marinette jeta un regard à l’extérieur et poussa un long soupir, fermant définitivement sa trousse de dessin et l’immense carton renfermant ses derniers croquis. Il pleuvait des cordes, et la résidence étudiante était à moins quinze minutes de marche. Cette petite promenade d’habitude sympathique allait tourner au cauchemar. Bien sûr, elle avait oublié son parapluie dans son studio en partant le matin, d’autant que la météo était nuageuse mais relativement bonne.

Elle avait beau avoir grandi, mûri, elle était toujours un peu tête de linotte, et maladroite. Si être Ladybug lui avait fait prendre confiance en elle, ça n’avait pas non plus fait disparaître toutes ses insécurités. Et ici, à Everton, sans son Miraculous, sans sa meilleure amie, sans ses parents et sans… enfin, bref, seule, elle ne pouvait pas dire qu’elle se sentait au mieux de sa forme et de son assurance.

Nouveau soupir. La jeune fille passa son sac en bandoulière et cala difficilement le carton à dessin sous son bras. Quelle idée, aussi, d’en utiliser un si grand alors qu’elle était si petite ! Mais les idées de l’étudiant en stylisme ne tenaient plus dans des carnets, désormais, elles dépassaient le bord des feuilles, des croquis et des patrons. Tous ses professeurs le lui disaient : elle avait un énorme potentiel. Seulement voilà : la tristesse et la solitude l’empêchaient de briller comme elle l’aurait dû.

Le hall de l’université était bondé et Marinette se fraya un chemin comme elle put jusqu’à la sortie où d’autres étudiants hésitaient à braver le déluge. Prenant son courage à deux mains ainsi qu’une grande inspiration, elle se jeta sous la pluie battante, ses affaires serrées du mieux qu’elle pouvait contre elle.

Elle dut rapidement battre en retraite et se réfugia sous le auvent le plus proche, un arrêt de bus. Dépitée, elle déposa son carton sur le banc : la couverture ruisselait d’eau, mais l’intérieur semblait seulement humide. Elle poussa un autre soupir, de soulagement cette fois, avant de constater que les dégâts étaient plus importants sur elle-même.

La jeune fille détacha son chignon et essora ses cheveux, puis essuya son visage avec la manche de son manteau et secoua ses mains trempées. Elle sentait l’eau s’infiltrer dans son cou, imbiber son pull, son jean lui collait à la peau, et elle commençait à avoir froid…

« Plus qu’à attendre que ça se calme un peu… » dit-elle en pensant qu’elle aurait dû rester à l’université.

Était-ce à cause du temps gris, maussade, que la nostalgie la frappa d’un seul coup ? La solitude, le regret, le remords… Elle pensa à Chat Noir, à sa manière de désamorcer les situations avec ses jeux de mots, et elle se sourit à elle-même, un petit sourire triste, en murmurant :

« Il fait un temps à ne pas mettre un chat dehors, hein, Chaton ? »

Malgré cet intense sentiment de solitude, Marinette ne pouvait pas dire qu’elle avait envie que quelqu’un vienne briser le cocon de mélancolie dont elle s’était entourée. Debout sous l’arrêt de bus, regardant la pluie tomber, elle se laissait bercer par le doux chant d’émotions aux reflets bleus, dont les échos parsemaient les flaques d’encyclies. Les seules personnes qu’elle aurait appréciées autour d’elle auraient été Alya, Tikki, ou bien…

Alors lorsqu’elle vit une silhouette masculine s’approcher, le visage dissimulé par son parapluie, elle recula d’un pas et referma ses bras autour d’elle. Elle n’avait pas vraiment envie qu’un inconnu la voit aussi troublée, aussi émue. Elle plaqua un vague sourire de circonstance sur son visage et se plaça devant son carton à dessin comme pour le protéger. Quelle idée, aussi, de se laisser aller à la tristesse à un arrêt de transport commun, et à cette heure-ci ? Il y aurait forcément des passagers désireux de s’abriter, elle ne pouvait pas s’attendre à être tranquille.

Le nouvel arrivant resta cependant à une distance raisonnable, protégé de l’averse battante par la toile au-dessus de sa tête, et la jeune femme détourna soigneusement son regard de lui. Elle détestait ce genre de situation malaisante, elle était déjà assez ridicule, trempée comme ça, ce n’était pas la peine d’en rajouter en le fixant bizarrement.

Mais soudain elle parut attirer son attention… et la façon dont il prononça son prénom la figea. Une vague de sentiments contraires la parcoururent : un frisson glacé descendit le long de sa colonne - si c’était possible considérant le froid qui s’insinuait déjà dans son dos avec l’humidité de la pluie - et un envol de papillons enflammés explosa dans son estomac.

« A-a-a-adrien ?! »

Ce fichu bégaiement qui la reprenait tout d’un coup, pourquoi maintenant ?! Elle posa les yeux sur son visage, puis les détourna, reculant à nouveau lorsqu’il se rapprocha, mais elle se retrouva bloquée contre son carton à dessins, incapable de fuir. Qu’est-ce qu’il pouvait bien penser d’elle, les cheveux détrempés, le manteau gouttant sur le sol, trop stupide pour penser à prendre un parapluie avant de sortir ? Un millier de pensées se bousculaient à la seconde dans la tête de Marinette. Deux ans, ça faisait deux, et il avait changé… En bien, bien sûr. C’était Adrien Agreste, après tout. Il ne pouvait évidemment que devenir encore plus beau avec les années, avec cette barbe qui soulignait son visage, il était… Elle se serait giflée mentalement. Oui, il était encore plus séduisant qu’avant. Mais ce n’était pas le moment !!

Et si ça avait seulement été une question de physique… Mais il était toujours le même gentleman et déjà il déposait son manteau sur les épaules de Marinette qui se mit à rougir furieusement. Elle tentait de se détourner des pensées que lui inspiraient sa façon d’enlever ce vêtement, si élégante, celle d’un mannequin qui a l’habitude des gestes de la mode, si se… Non ! La tiédeur sur ses épaules la calma un peu, la ramena à la réalité, malgré ses joues toujours roses. Elle n’aurait qu’à dire que c’était le froid…

« Tu - je - enfin - je - mais… »

Bien. Bien bien bien. Recroiser son ex au bout de deux ans, après avoir bataillé pour oublier ses sentiments - bien sûr qu’elle y était parvenue, quelle question - et être incapable d’aligner deux mots, c’était du Marinette tout craché. Evidemment. Elle devait être parfaitement ridicule, comme l’aurait dit Chloé. Comme lors de leurs premiers échanges. Comme ce jour où… Oh. L’ironie de la situation était mordante. Trouver quelque chose à dire, trouver quelque chose à dire, trouver quelque chose à…

« Jo-jolie barbe. »

Parfait. Par-fait. Tout. Etait. Parfait.

Marinette elle-même n’en revenait pas, après toutes ces années, passer à ce point pour une idiote relevait de l’exploit. Si elle espérait le reconquérir avec ce genre de réflexion stupide… Quoi ? Mais qui avait dit qu’elle essayait de le reconquérir ?! Il n’avait plus donné de nouvelles, après son départ pour les Etats-Unis, et elle s’était bien gardée de le recontacter.

Quelque part, elle s’était persuadée qu’elle avait toujours été un frein à ses aspirations, un caillou dans sa chaussure, un passage dans sa vie qui n’avait fait que le ralentir. Leur rupture était sans doute pour le mieux, pour qu’Adrien puisse s’envoler loin d’elle et se diriger vers les sommets qui lui revenaient de droit. Elle, elle avait poursuivi son chemin, reconnaissante du temps qu’elle avait pu passer avec lui, d’avoir été l’objet de son attention et de son affection au moins pour quelque temps. L’idée qu’il avait sans doute refait sa vie avec quelqu’un de plus brillant, de plus talentueux, de plus à la hauteur qu’elle-même s’était installée au fur et à mesure, et la jeune fille s’était concentrée sur ses études, sur sa propre voie, en sachant très bien qu’elle ne rencontrerait personne qui soit à la hauteur du jeune Agreste, mais comme elle ne le méritait pas, ce n’était que l’ordre des choses.

Bref. Elle avait fait son deuil. Alors pourquoi Everton lui jouait-il ce tour sadique ?!

Les papillons brûlants battirent des ailes à l’unisson lorsque le jeune homme passa la main sur sa barbe, dansant un ballet familier plus intense encore que par le passé. Elle avait grandi et mûri, ses désirs aussi… La remarque d’Adrien la fit presque grimacer, et elle retrouva un peu d’assurance en répondant :

« Tu veux dire que contrairement à toi, j’ai toujours l’air d’une lycéenne ? »

Mais son ironie fondit comme neige au soleil lorsque son ancien amoureux joua avec une mèche de ses cheveux. Elle avala à nouveau sa salive et le rose reparut sur ses joues. En effet, elle n’avait pas changé, elle réagissait même comme une collégienne, à ce stade !

« Je… Oui, j’étudie. La mode, le stylisme… Enfin, tu sais bien, mes petites passions. » éluda-t-elle en se tordant les mains.

Cela paraissait ridicule à côté de son parcours en droit, si prestigieux. Pourtant, c’était si important pour elle.

« C’était un peu la seule chose qui me restait, en arrivant ici. » se confia-t-elle, son regard se perdant un instant dans la pluie hors de l’abri, mélancolique.

Sans Alya, sans ses parents, sans lui… disaient ses yeux bleus brillants, sur le point de s’embuer de larmes. Elle s’éclaircit la gorge, essayant de chasser l’émotion.

« Je suis dans ma troisième année. Et toi ? qu’est-ce que tu deviens, un américain modèle ? » tenta-t-elle de plaisanter.

Toujours aussi jolie ? Elle ?! Marinette se retint de battre des paupières d’incrédulité tandis que les tambourinements de son cœur s’accéléraient. Elle devait avoir mal entendu… Cela dit, c’était bien le genre d’Adrien, de faire des compliments sans se rendre compte qu’ils pouvaient être surinterprétés. Non, c’était simplement sa gentillesse naturelle qui lui faisait dire des choses pareilles. Il ne fallait pas qu’elle s’emballe.

Et toi, tu es dix fois plus beau qu’il y a deux ans… pensa-t-elle sans le prononcer à voix haute.

Elle s’était déjà assez ridiculisée avec cette histoire de barbe, ce n’était pas la peine d’en rajouter. Même si c’était vrai et qu’elle n’avait qu’une envie, tendre les mains pour les passer dans ses cheveux, caresser cette fameuse barbe qui lui donnait un air presque sauvage, attraper son col et l’embrasser, là, sous la pluie, comme dans un film romantique ultra-cliché.

Marinette commençait à avoir quelques indices que ses sentiments pour Adrien n'avaient pas totalement disparus. Non, pas totalement. Pas du tout, même, en fait… A moins que ce ne soit seulement physique. Oui, c’était sûrement ça, c’était physique. Une attirance logique face à un homme aussi séduisant, mais qui n’avait rien à voir avec une connexion émotionnelle.

Le fait qu’il était déjà avocat au bout de deux ans était étrange ; il était certes doué, mais il était plus probable que, comme on le lui avait expliqué au Hope Shelter, il ne se soit pas écoulé le même laps de temps pour elle que pour lui. Ce n’était pas très important pour elle, mais c’était sans doute plus compliqué à vivre pour lui, et elle eut une pensée triste en se disant qu’il avait été encore plus seul que dans sa jeunesse. Cette pensée lui fit lever le bras, et elle posa sa main sur l’épaule du jeune homme avec un doux sourire.

« Félicitations, tu peux être fier de toi. Maître Agreste, ça en jette ! »

Comme au temps du lycée, elle lui offrait les encouragements et la reconnaissance que son père lui refusait. Gabriel avait-il changé d’attitude en voyant son fils suivre une voie si prestigieuse, mais loin de lui ? Rien n’était moins sûr. Adrien méritait d’être soutenu, et Marinette était heureuse de pouvoir jouer ce rôle pour lui. Celui d’une amie fidèle, toujours là quand il en avait besoin.

Amie, hein… fit une petite voix sarcastique dans sa tête.

La conversation commençait à prendre une tournure beaucoup plus sérieuse, et s’orientait vers leur rupture. Marinette prit une petite inspiration angoissée : elle n’était pas sûre d’être prête à faire face à ça. Pourtant Adrien semblait bien décidé à s’excuser…

« Je-je suis contente de te revoir aussi. Et qu’est-ce que tu racontes, enchaîna-t-elle à toute vitesse, mal à l’aise, on s’est séparés d’un commun accord, il n’y a pas de problème, tu avais besoin de distance, je veux dire, de suivre ta voie, je ne pouvais pas t’en vouloir, enfin, on aurait pu rester en contact en tant… qu’amis… »

Elle savait très bien qu’elle aurait eu beaucoup de mal à le supporter. Est-ce qu’elle aurait pu penser à lui sans avoir mal, s’ils avaient continué à se parler, si elle avait appris toute sa vie formidable aux Etats-Unis, loin d’elle, dans les bras d’une belle étudiante américaine talentueuse et passionnante ? Elle n’en était pas certaine. Mais elle ne voulait surtout, surtout pas qu’Adrien se sente coupable. C’était un sentiment qu’il avait trop vécu avec son père. Elle refusait de le provoquer à nouveau chez lui.

Le simple hochement de tête d’Adrien était révélateur, et malgré son absence d’attentes, Marinette sentit la déception lui serrer le ventre. Oui, voilà, c’était ce qu’ils étaient à présent : de vieilles connaissances. Qui avait eu une petite amourette de lycée autrefois. De bons souvenirs. Rien de plus. Elle aurait presque entendu le petit craquement de son cœur alors qu’il se brisait, une fois de plus.

Le parapluie que le jeune homme reprit rappelait d’ailleurs certains de ces souvenirs, et elle sentit sa poitrine se réchauffer un peu. Elle sourit, cette chaleur s'épanouissant sur son visage, dans ses yeux.

« On pourrait presque croire que je fais exprès de l’oublier pour que tu me raccompagnes, n’est-ce pas ? » plaisanta-t-elle en cherchant son regard, incertaine, mais heureuse de penser à l’un de leurs premiers instants de complicité.

Elle réfléchit rapidement à ce qu’elle venait de dire, et à la sollicitude d’Adrien. C’était un peu pitoyable, de dire ça de cette manière, elle ne voulait pas le forcer ! Elle tenta de se corriger :

« En-enfin, je veux dire, tu n’es pas obligé de me raccompagner, je vais rentrer toute seule, j’attendais juste que l’averse se calme… »

Nouvelle pause. Est-ce qu’il n’allait pas croire qu’elle ne voulait pas de lui ?! Parce que ce n’était pas ce qu’elle essayait de sous-entendre, pas du tout !

« M-m-mais si tu veux venir, je t’invite avec plaisir, tu pourrais boire quelque chose de chaud, on pourrait rattraper le temps perdu… »

Marinette se tut, effondrée d’envoyer tant de messages contradictoires à la suite.

Malgré son incohérence, Adrien parut comprendre ce qu’elle essayait d’exprimer, et Marinette laissa échapper un petit soupir de soulagement. Cela faisait si longtemps, et pourtant il n’avait pas changé, il la comprenait, il traduisait malgré toutes ses maladresses ce qu’elle disait. Ne pas avoir complètement perdu cette connexion malgré les années lui faisait plaisir et la touchait au-delà de ce qu’elle voulait bien laisser paraître.

« Oh non, pas très loin, un petit quart d’heure de marche. » répondit-elle en remplaçant une mèche de cheveux derrière son oreille avec un sourire.

L’idée qu’il restait avec elle encore quelques instants la rendait heureuse malgré elle, malgré la retenue qu’elle aurait dû s’imposer pour ne pas se laisser blesser encore une fois. Elle s’aperçut soudain qu’elle portait encore le manteau du jeune homme et l’enleva pour le lui tendre.

« C’est toi qui vas tomber malade si tu ne te couvres pas ! Tu devrais reprendre ta veste. »

Le regard de Marinette s’attarda sur les vêtements d’Adrien, les imaginant trempés, rendus transparents par la pluie… Un nuage coquelicot s’épanouit sur ses joues, encore une fois. Elle sursauta presque lorsqu’il s’avança, mais c’était seulement pour désigner le carton à dessin derrière elle. Elle se gifla mentalement pour reprendre contenance. Non, il n’allait pas l’embrasser !

« Euh, oui, vas-y, je t’en prie ! »

Elle s’écarta vivement pour lui laisser l’accès.

« Il est un peu grand pour moi de toute façon, avoua-t-elle en baissant le regard. J’aime avoir de la place pour dessiner, mais c’est difficile à transporter. Ça va aller ? »