Il n’y a rien de plus présent que l’absence.
Amy en faisait l’expérience chaque jour, chaque nuit, chaque heure, chaque minute, chaque seconde. Le vide obsédant lui imposait sa douloureuse permanence, son horrible évidence.
Melody n’était pas là.
Et sans doute que certains lui auraient dit de l’accepter, de faire son deuil, de vivre avec. Elle vivait avec, certes, mais jamais elle ne pourrait faire comme si c’était normal. Au fond d’elle-même, elle se battrait toujours, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la mort s’il le fallait. Mais toujours à l’intérieur. Ne pas le montrer trop, ne pas en parler trop, pour ne pas que les autres essayent de lui faire entendre raison. Elle le refusait. Elle était incapable d’encaisser ça. Alors elle gardait pour elle, derrière son sourire de façade, l’image de sa fille qui lui apparaissait jusque dans ses rêves.
Amy venait presque chaque jour au Hope Shelter vérifier si son enfant n’était pas arrivée à Everton. Elle ne pouvait pas la laisser seule, il fallait qu’elle soit là le plus vite possible. Et elle en avait aussi besoin elle-même. Alors lorsqu’elle avait entendu parler des groupes de paroles de l’Agora, elle n’avait pas hésité longtemps : elle avait besoin de partager son fardeau avec d’autres qui la comprendraient.
La rousse était arrivée dans les premières au rendez-vous fixé, et s’était naturellement installée sur une chaise. Très calme, elle saluait d’un sourire bienveillant et sincère ceux qui entraient un par un et prenaient la place qui leur convenait autour d’elle.
Sans même vraiment se poser la question, elle décida qu’elle serait la première à parler.
« Bonjour, commença-t-elle, presque incertaine et pourtant déterminée.
Je m’appelle Amy, j’ai 24 ans, et ma fille Melody m’a été enlevée peu après sa naissance. »Elle fit une pause pour contenir les larmes qui tentaient malgré elle d’envahir ses yeux.
« C’est compliqué à expliquer, mais je sais qu’elle a dû grandir sans nous, sans moi. Je sais qu’elle a été seule toute son enfance, presque toute sa vie. Et son absence ici m’est… insupportable. »Nouvelle pause. Sa voix s’était brisée. Elle s’éclaircit la gorge et reprit :
« Je pourrais presque croire que c’est une nouvelle chance, un moyen de réécrire l’histoire en la gardant à mes côtés, mais cette ville ne cesse de me décevoir, et je commence à perdre espoir. »Amy gardait les yeux rivés sur ses mains jointes au-dessus de ses genoux.